Quand Mathurin Méheut éveillait l’orfèvrerie Art déco avec ses biches sacrées du Japon

En 1914, Mathurin Méheut part à Hawaï puis au Japon à la veille de la Grande Guerre. L’archipel, longtemps fermé aux étrangers, s’est enfin ouvert au monde extérieur sous l’ère Meiji. A 31 ans, Méheut devient le premier et seul artiste titulaire d’une bourse traditionnellement réservée aux universitaires, grâce au projet philanthropique du banquier Albert Kahn : Les Archives de la Planète. « J’ai l’honneur de vous informer que dans sa séance de ce jour, le conseil de l’université de Paris vous a nommé titulaire d’une bourse de voyage d’une valeur de 16500 F. »

Nara, les biches sacrées du Japon

Etape de son périple, Nara, au Japon, est la ville des biches. Animaux sacrés, elles vivent en liberté parmi les habitants. Mathurin Méheut y capte sur sa gouache et encre sur carton de nombreux  souvenirs d’animaux de bois directement vendus aux pèlerins de passage. L’artiste costarmoricain les mentionne dans une lettre à sa fille en faisant référence à des biches miniatures transformées en jouets de couleur rouge et bleu.

L’éveil d’un décloisonnement de l’artisanat et des arts

L’engouement des européens pour les cultures lointaines qui décloisonnent les cadres de pensée occidentaux est tel qu’on invente le terme de « japonisme ». A l’origine, Méheut prévoit un séjour de dix mois au Japon quand il obtient, en 1913, la bourse « Autour du Monde ». Il y séjourne finalement d’avril à juillet 1914, jusqu’à ce que l’ordre de mobilisation générale le rappelle en France. L’expérience nippone est fondatrice pour le jeune artiste, marqué par une tradition où savoir-faire artisanal et savoir-faire artistique sont indissociables, où l’art va à l’essentiel. Ses œuvres constituent un véritable reportage sur ce qu’était le Japon à la veille de la Grande Guerre. Elles inspirent très largement le travail d’orfèvres de la génération Art déco.

Léon Lognoné, portrait d’un orfèvre mobilisé pendant la Grande Guerre

Léon Lognoné (1899 – 1984) est un orfèvre-horloger mobilisé pendant la Grande Guerre qui s’est spécialisé dans les objets d’art en régule. On en trouve beaucoup dans les horloges Art déco à l’époque où le cuivre était rationné pour la fabrication des munitions. Les biches sacrées de Nara ont visiblement nourri son imagination avec ce pendule en régule.

Il est décédé le 9 juillet 1984 à 85 ans, Dol-de-Bretagne Saint-Malo.

Les régules sont des alliages d’étain ou de plomb et d’antimoine. Ils ont permis d’accélérer des réalisations majeures de l’Art déco en France : comme la piscine Saint-Georges de Rennes, conçue, pensée et dessinée par l’architecte Emmanuel le Ray dès 1911, ce qui transparaît particulièrement dans sa forme extérieure. Seulement, le projet n’a pas pu voir le jour avant 1923, pour une fin des travaux en 1926. Le travail de céramique, effectué par Gentil et Bourdet, lui a valu son titre de « Piscine Art Déco ».

Dans le sillage du développement industriel se développait l’Art nouveau tout en s’inspirant de la nature locale.

Le régule est apparu au XIXème siècle pour donner l’illusion du bronze. Il était de plus en plus utilisé pendant la première Guerre Mondiale pour remplacer le cuivre dans la réalisation d’objet d’art, de décorations, le cuivre étant à l’époque rationné pour la fabrication des munitions.

Le régule a été largement utilisé dans les essieux des wagons et voitures de voyageurs, comme pièce d’usure sur des paliers en bronze utilisés dans les boîtes d’essieux lubrifiées par du coton imbibé d’huile, dans lesquels les paliers supportent les essieux. Le manque de lubrification et l’usure du régule provoque une « boîte chaude » et peut entraîner des dégâts au matériel et à l’infrastructure en cas de déraillement.

Les boîte d’essieux étaient contrôlées jadis lors d’un arrêt en gare, à la main où en tapant avec une massette. Suivant la chaleur ou le bruit, l’ouvrier savait si la boîte d’essieux était saine. Maintenant les boites sont raccordées à un système qui permet la vérification sur un écran du bon état de fonctionnement

Images de mon pays et d’ailleurs

« Images de mon pays et d’ailleurs » est l’intitulé de la dernière exposition personnelle de Mathurin Méheut en 1955. Le caractère indéfini du mot « ailleurs » invite à s’intéresser à la diversité de ses périples. Son premier voyage lui est offert par la bourse « Autour du Monde » de la fondation Albert Kahn en 1913. Il traverse les Etats-Unis, fait un passage à Hawaï et séjourne au Japon. Après-guerre, ses grands périples sont dictés par des commandes. En 1930, il se rend à Pittsburg, sollicité par le grand industriel Heinz. En 1932, il est en Crète, missionné par les Messageries maritimes. Entre temps, en 1928, il refuse de se rendre en Inde pour illustrer le Livre de la Jungle, un projet qui lui tenait pourtant à cœur avant­-guerre.

Pour approfondir le sujet, une visite du musée monographique Mathurin Méheut https://www.musee-meheut.fr/ s’impose à Lamballe, sa ville natale.

A l’avenir, sa contribution au projet philanthropique : les Archives de la Planète pourrait de nouveau être valorisée à l’occasion de la prochaine Exposition universelle qui est prévue en 2025 dans la baie d’Osaka au Japon.

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