Magali Henry, Présidente de Tricolore : Portait d’une Française au Québec
Bonjour Magali, pouvez-vous vous présenter ? Depuis quand habitez-vous au Canada, et quelle est votre activité ?
Bonjour Marc, merci beaucoup de me donner la chance d’exposer mon parcours en tant que française vivant à l’étranger. Je m’appelle Magali Henry, je suis née dans une petite bourgade de Provence, Manosque, la ville de Jean Giono. Pour moi, cette interview est vraiment importante et très intéressante parce qu’elle fait écho à toute ma vie. À travers mon père, de par sa profession, j’ai un long passé d’expatriée. En effet, j’ai passé une grande partie de mon enfance et adolescence dans plusieurs pays allant du Maghreb au Moyen-Orient en passant par l’Indonésie, le Nigéria, l’Iran, le Liban ou encore le Pakistan et l’Inde. Dès mon plus jeune âge, mon père m’a transmis le virus des voyages, mais aussi et surtout l’amour de la France.
Bien que j’aie effectué ma petite enfance à l’étranger, mes parents m’ont néanmoins rapatriée en France pour mes études à partir du collège. J’allais en vacances là où ils étaient expatriés. Diplômée de l’ESI (École Supérieure d’Informatique), j’ai travaillé 25 ans en tant qu’ingénieur informatique dans divers postes, de l’analyste au CIO. Maintenant, je suis à la tête de mon association Tricolore, que j’ai créée en 2022. C’est un projet tout nouveau dans lequel je m’épanouis.
Niveau familial, aujourd’hui je suis mariée à un Français, d’origine Italienne, et j’ai une fille de 25 ans. Étant toujours à l’étranger, je vis dorénavant à Montréal, au Québec, depuis environ 20 ans, alors que rien ne me prédestinait à venir en ce lieu. Je suis la première de la famille à avoir mis les pieds en Amérique du Nord.
Je suis également une passionnée d’équitation, de chevaux et de nature. Et j’ai eu la mauvaise idée de transmettre ces passions à ma fille ! Du coup, le Québec nous a permis de réaliser mon rêve d’enfant et le sien : avoir des chevaux à nous. Nous en avons 2 depuis 10 ans maintenant.
Vous vivez dans une ville francophone, vous sentez-vous vraiment à l’étranger ?
Par mon passé d’expatriée, j’ai toujours eu envie de travailler à l’étranger. Je pourrais même dire que c’est dans le sang maintenant. Je visais l’Australie au départ. Mais les opportunités professionnelles m’ont conduites à Montréal. Le fait que la langue française soit utilisée ici a largement contribué à mon recrutement à l’époque. La compagnie États-Uniennes qui m’a engagée, avait besoin de quelqu’un capable de parler aussi bien le français que l’anglais. Comme quoi, parler français est et reste toujours une force ! Nous devrions être fier de notre langue.
Montréal est une ville très cosmopolite. Même si le français est la langue première, comme on dit ici, parler anglais n’est pas une option. Comme le chante si bien Céline Dion : « on entend les cris de New-York et les bateaux sur la Seine », en même temps.
Est-ce que je me sens à l’étranger ici ? Ooooh que oui ! Les Québécois sont des Américains qui parlent français et pas des Français qui habitent en Amérique ! La culture ici est profondément américaine. Les US sont d’ailleurs nos seuls et uniques voisins, d’où leur influence majeure. Les codes culturels ne sont vraiment pas les mêmes qu’en France. Mais, l’utilisation de la langue française fait que le choc culturel vient plus tard, après la lune de miel si je puis dire. Mais il est tout aussi grand. Le rythme de vie, le mode de fonctionnement quotidien, les banques, l’accès au crédit, tout est très différent. Et il ne faut pas oublier l’hiver….
Le marché du travail est lui aussi propre au Québec. La sécurité de l’emploi n’existe pas même quand on a un poste permanent – l’équivalent d’un CDI en France. On peut être licencié en 2 semaines et aussi retrouver un travail en 2 semaines ! Il faut changer son approche, sa mentalité, sa façon d’appréhender les affaires. Il faut arrêter de penser comme le paradigme français juste parce qu’ils parlent la même langue, chose que nous avons faite quelques années plus tard, le temps de comprendre, en créant mon entreprise de conseils stratégiques informatique, Eurêka!Expert. Les entrepreneurs ici sont les bienvenus. On aime les gens qui se débrouillent, qui vont de l’avant, que ce soit dans le cadre d’une prolongation ou d’une réorientation de carrière.
Combien de Français vivent à Montréal, et comment les Canadiens nous voient-ils ? Y a-t-il du “racisme anti-Français” ?
Nous sommes environ 100 000 français au Canada. Environ 60 000 vivent à Montréal et Québec Ville. On note une augmentation de plus 10% en 2 ans. Le nombre de français au Québec a doublé en 10 ans. Mais, 15% retournent en France au bout de 2 ans et plus de 50% au bout de 5 ans. L’hiver, l’adaptation économique et l’obtention de visa dans les temps en sont souvent la cause.
Les Québécois aiment beaucoup la France, la culture française, le savoir-vivre français. Les Français, un peu moins ! Ils nous trouvent souvent arrogants et hautains. Ils nous perçoivent comme des gens arrivant en terrain conquis. L’histoire de la Nouvelle-France notamment. Certes, le Québec parle français, mais ce n’est pas la France. Les Français ont tendance à oublier qu’en terre de Québec, ils sont des étrangers et non l’inverse. Les Québécois nous rappellent assez facilement que la France les a laissé tomber 2 fois : Louis XV et De Gaulle. Petite anecdote : un de mes clients m’a emmenée visiter Montréal. Nous nous sommes mis en face de l’Hôtel de Ville de Montréal. Il m’a demandé de regarder le balcon du 2e étage. Et là il m’a dit : « C’est ici que De Gaulle a prononcé Vive le Québec Libre et qu’ensuite, la France nous a laissé tomber ».
Cependant, on ne peut pas dire qu’il y ait du racisme anti-français. Après tout, ils aiment nous dire que nous sommes leurs cousins. Mais il est clair que les Québécois sont favorisés dans toutes les sphères de la vie courante. Le Québec et les Québécois d’abord. Mais comment leur reprocher ? Ils résistent depuis plus de 400 ans pour maintenir leur langue, leur histoire, leur peuple. Il ne faut pas oublier que le Québec est la seule enclave francophone en Amérique du Nord et ils la défendent bec et ongle.
Pensez-vous rentrer en France un jour ?
Honnêtement, je ne sais pas répondre à cette question. Je suis Franco-Canadienne, mon pays c’est la France et le Québec. L’un et l’autre me manque quand je suis loin d’eux. Je pense me partager entre les 2. La situation actuelle de la France ne me donne pas envie de rentrer. L’insécurité, son démantèlement économique, social, sociétal, fait méthodiquement au profit de l’Europe, ne laissent pas présager des jours heureux. J’admets en être très inquiète. J’espère me tromper, car j’aime ce pays et encore plus depuis que je suis à 6000km. La France est le pays où je suis née, alors forcément le lien ombilical est très présent. Je pense que je ne suis pas la seule dans ce cas-là.
Ma fille, pendant un temps avait envisagé de rentrer, mais elle-même voit la situation du pays se dégrader au fur et à mesure de ses retours, et a remis en cause cette idée. Si elle rentre, ce sera en Europe d’abord, puis éventuellement la France, si la situation s’améliore.
Tout à l’heure pendant votre présentation, vous avez mentionné le nom de votre association, Tricolore. Qu’est-ce que c’est et quel est son objectif ?
Aimant profondément la France, j’ai eu envie de m’impliquer pour elle, même si je suis loin. Tricolore est une association de français de l’étranger qui a pour but de regrouper les Français qui aiment la France, son drapeau, sa langue, son histoire, sa culture, son savoir-vivre, sa gastronomie, pour la faire rayonner et donner envie de l’aimer aux gens autour de nous. Nous voulons servir les Français et la France. Un de nos objectifs est de démontrer que nous ne sommes pas des exilés fiscaux, comme beaucoup de français en France ont tendance à le croire. C’est une image biaisée et il est temps de rétablir la vérité sur la vie des Français à l’étranger. Peu importe où nous sommes, nous sommes avant tout Français et égaux en droits.
J’ai également à cœur de défendre notre magnifique langue. Elle s’étiole de plus en plus à travers le monde, alors qu’elle est si belle. Et on le mesure encore plus ici au Québec. Le Français est de plus en plus menacé, à nous de le défendre comme il se doit. Je trouve le combat des Québécois inspirant dans ce domaine, et je pense qu’en tant que Français, nous aussi, nous devons nous battre pour notre langue. Arrêtons de dire « parking » mais plutôt « stationnement » par exemple. Mais il y a en quantité d’autres.
Un des objectifs de Tricolore est également de créer un réseau d’entraide et un maillage avec les Français de France. Nous accueillons les nouveaux arrivants afin que leur aventure ici se passe le mieux du monde et aussi briser l’isolement inhérent à une arrivée dans un pays étranger. Nous souhaitons aussi avoir des contacts en France pour accompagner ceux qui reviennent au Pays. S’expatrier est difficile mais revenir en France l’est tout autant.
Quand je suis revenue en 2005 avant de repartir au Canada, j’ai eu énormément de mal à ma réhabituer au mode de vie français. Et encore, je ne vous parle pas de la paperasse administrative. Un vrai parcours du combattant ! Vous comprendrez que dans un sens comme dans l’autre, il faut se préparer. Tricolore est là pour donner les bons contacts aux personnes qui le souhaitent.
Pour résumer, je dirai que les Français de l’Étranger sont souvent les grands oubliés. Tricolore a également pour but de faire sortir de l’ombre ces français, de parler de leur quotidien, de leurs difficultés et de la façon dont ils font rayonner la France à travers le monde.
Comment êtes-vous organisés au sein de l’équipe ?
Nous sommes une petite équipe, tous très motivés, composée de français de France mais aussi de Québécois Français. Nous organisons des évènements souvent basés sur des fêtes Françaises ou Québécoises. Étant donné que nous sommes au Québec, nous avons jugé qu’il était important de faire découvrir la culture québécoise tout en faisant perdurer notre culture. Nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram ou encore Twitter. Nous avons également un site web www.latricolore.com. Nous publions régulièrement des articles sur l’actualité des Français de l’Étranger ou des articles plus culturels sur l’Histoire, la langue française, les traditions etc. Le travail commence à payer ! De 3 ou 4 au début, nous sommes maintenant une vingtaine, 8 mois seulement après le lancement. Les jeunes étant l’avenir, nous avons aussi une branche spéciale Jeunes.
Nous avons aussi développé des contacts avec d’autres associations françaises ou internationales. CFI en est un bel exemple. Grâce à CFI, Tricolore est connecté aux français du reste du monde ! L’échange d’expériences permet à tous de s’enrichir intellectuellement. Il nous arrive de faire de sessions tous ensemble pour échanger sur nos diverses réalités, regardant ce qu’il y a en commun et ce qui est totalement différent. D’ailleurs nous avons fait une session dimanche 29 janvier, c’était très intéressant et fructueux.
Comment soutenir Tricolore et la communauté française de Montréal ?
Ce que nous voulons c’est que nos idées soient relayées. C’est comme ça que l’on arrivera à obtenir une certaine visibilité. Le but est de créer un lien entre tous les Français de l’étranger peu importe leur localisation. Tricolore est un point d’attache au Québec, mais nous prenons tous les volontaires. La preuve, nous essayons de tisser des liens avec toutes les associations aux valeurs similaires ou encore, nous faisons des sessions de débats entre nous afin de faire ressortir des idées et des points de vue.
Le meilleur soutien possible sera de réussir à obtenir un porte-parole, une voix, pour réussir à se faire entendre et être reconnu comme Français à part entière. Certes nous sommes loin, parfois même très loin, mais ce n’est pas pour autant que nous sommes déconnectés de ce qui se passe en France. Au contraire, nous sommes encore plus attentifs parce que justement nous sommes loin. Nous avons tous de la famille sur le continent, ce qui peut leur arriver nous importe. De plus, la distance a tendance à exacerber les ressentis.
Finalement, nous sommes la vitrine des Français à l’étranger. Si nous ne sommes pas soutenus, comment voulez-vous entretenir l’aura française? C’est impossible. Ce soutien est donc primordial.
À mon sens cela passe par des activités, des échanges et des soutiens. Si nous arrivons à développer cela, nous avons une voie toute tracée pour changer les perceptions que les gens ont de nous, les Français de l’Étranger. Envers et contre tout, nous sommes fiers d’être Français et fiers du rayonnement que nous donnons quotidiennement à la France.
Magali Henry / magali.henry@live.ca / Telegram @Magali6808
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