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Un élu local doit-il être « politique » ?

Je vais ici répondre à de nombreuses questions et remarques que l’on me fait assez souvent :

Un élu local (conseiller des Français de l’étranger, dans mon cas) devrait-il être politique ?

Peut-on être « apolitique » et se présenter à des élections ?

Le travail « de terrain » s’oppose-t-il au travail politique ?

Changer d’étiquette politique en cours de mandat, est-ce trahir ses électeurs ?

Je vais répondre à toutes ces questions avec mon histoire personnelle, et je vais notamment expliquer pourquoi « j’ai changé », pourquoi je suis devenu politique.

Contexte

Une fois engagé pour Zemmour en décembre 2021, j’ai été la cible d’une tonne de critiques et insultes. D’une part à cause de l’engagement lui-même, et d’autre part car j’étais « devenu politique » alors que j’étais censé être « apolitique », ce qui était l’un des arguments principaux de ma campagne aux élections des conseillers des Français de l’étranger (mai 2021) et que d’après « beaucoup » de personnes, je n’étais pas censé prendre position pour qui que ce soit, même à titre personnel.

Il faut avant tout définir ce que signifie « apolitique ». Lorsque je me suis présenté à ces élections, j’étais le président de la représentation locale de l’UFE. Le point de vue de l’association est que tout adhérent (y compris un président) peut s’engager aux élections sous l’étiquette de son choix, mais ne le fait pas au nom de l’association, qui reste apolitique. De la même manière, j’avais constitué une liste de candidats intitulée « Renouveau », arguant que cette liste était apolitique, même si chaque colistier était libre de ses engagements divers. En d’autres termes, on aurait pu avoir des colistiers aux étiquettes politiques complètement différentes ; c’est un peu bizarre mais pourquoi pas, si on fait le choix d’une liste purement « de terrain » et apolitique. Par exemple, je connais une ancienne élue de droite ayant démissionné de son poste pour rentrer en France ; elle a donc été remplacée par le suivant de la liste, qui lui est… mélenchoniste ! Ils avaient constitué une liste avec des personnes aux engagements très différents.

En tout cas, dans la vie associative ou dans la « politique apolitique », il y a la théorie et la pratique. La théorie est qu’on peut très bien dire que chacun a le droit de s’engager pour qui il veut à titre personnel ; dans la pratique certains engagements se heurtent tout naturellement à une bien-pensance qui n’accepte que les engagements qui rentrent dans certaines cases. Finalement, il faut voir les opportunités dans chaque crise. Cet engagement politique a changé ma vie ; il a été nécessaire et j’en suis très satisfait. Je vais vous en dire plus en revenant sur certains points.

A quoi servent les conseillers des Français de l’étranger ?

Mon but ici est d’apporter une analyse différente, et non pas de répéter l’information que vous trouverez sur le site du ministère ou des articles comme celui-ci qui est assez bien fait : A quoi servent les conseillers des Français de l’étranger ? | lepetitjournal.com

De mon point de vue, le conseiller des Français de l’étranger a deux missions principales qui sont complémentaires :

  1. Un travail de terrain (réunions au consulat, bourses scolaires, informations utiles, etc. comme indiqué dans les liens ci-dessus).
  2. Un travail politique, qui se décline concrètement en votant pour les élections sénatoriales, mais aussi en s’engageant et en prenant position sur des sujets politiques au quotidien.

Je présenterais même les choses différemment : 1 – le travail apolitique et 2- le travail politique.

Le travail de terrain est essentiellement apolitique. A moins qu’un migrant clandestin vers la France se retrouve expulsé vers Hong Kong et demande des aides à notre conseil consulaire, je ne vois pas beaucoup de sujets qui puissent devenir politiques à l’étranger. Peut-être un jour dans l’enseignement français, si nous avons des drag-queens qui viennent faire la lecture à nos enfants dans les lycées français à l’étranger, mais bon nous n’en sommes pas encore là.

Pour l’instant, la plupart des réunions sont très « apolitiques ». Quand on doit « décider » au sujet d’une bourse scolaire ou une subvention à une association, quand on fait le point sur la communauté française, quand on relaie des informations utiles, tous les élus travaillent normalement bien ensemble. Pour preuve, je dirais que je m’entends davantage avec mon collègue « de gauche » qu’avec mes collègues « de droite », vu que nous ne parlons pas du tout de politique. D’autres critères (génération d’âge, capacité à suivre les réseaux sociaux, etc.) pourraient expliquer que les méthodes de travail et de communication rapprochent certains élus.

Le travail politique est, malheureusement, souvent délaissé, ou perçu comme optionnel. Cela pourrait s’expliquer par le fait que le seul travail politique écrit noir sur blanc dans les missions des élus est celui de voter aux élections sénatoriales, alors que pour le reste nous avons une liste de réunions et sommes régulièrement convoqués pour telle ou telle raison. En d’autres termes, la plupart des élus se contentent du minimum obligatoire. D’ailleurs, le vote pour les élections sénatoriales est obligatoire ; nous n’avons pas le droit de nous abstenir.

Une autre raison est aussi que la plupart des élus ne souhaitent tout simplement pas se mouiller. Certains vont préférer être « indépendants » ou « apolitiques », ce qui était d’ailleurs mon cas, la stratégie étant de parler le moins possible de ses opinions politiques afin de ne froisser personne, et de rassembler un maximum. Cela est vrai dans la plupart des petits villages en France, et cela est vrai aussi à l’étranger. Il faut le comprendre, c’est un petit monde. Quasiment tout le monde se connait, en tout cas chez ceux qui se déplacent pour aller voter (15% de participation pour les élections des conseillers des Français de l’étranger).

Certains diront que c’est lâche, et oui j’en ai été coupable quelques temps. Puis j’ai changé.

Un élu « de proximité » devrait-il être politique ?

Je pense qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, car cela dépend du caractère et des convictions de chacun.

En ce qui me concerne, la réponse est désormais évidente, et bien sûr j’aimerais que la plupart des élus « de proximité » soient aussi des élus engagés politiquement avec qui je peux débattre et confronter des idées. Ce serait d’ailleurs un bon moyen pour attirer la curiosité de nos compatriotes et les faire suivre ou même participer aux échanges, pour enfin que le taux de participation à ces élections augmente !

Certains élus assument leur rôle que je caricature d’assistant social ; ils aiment ça. Comme je l’ai expliqué, ce rôle est plutôt celui des associations et de l’administration ; mais finalement, pourquoi pas. Si les électeurs choisissent un élu pour faire uniquement du travail de terrain et rester en dehors de la politique, ainsi soit-il !

Je pense cependant que ce n’est pas tout à fait honnête, car un élu « de proximité » devrait annoncer clairement la couleur, c’est-à-dire dans quel camp il mettra son bulletin de vote pour les élections sénatoriales (pas forcément l’étiquette ou le nom exact, mais simplement le camp : gauche, centre, droite…). Cela est d’autant plus vrai que la plupart des conseillers que je connais font du bon travail, peu importe leurs opinions politiques. Les décisions prises en conseils consulaires sont souvent unanimes. Tous les élus sont capables de recevoir des informations du consulat et les diffuser auprès de leurs compatriotes, ou prendre des informations de leurs compatriotes et les faire remonter auprès de l’administration et des élus nationaux. Dans ce cas, si tout le monde est à peu près capable de faire la même chose assez bien, quelle est la différence entre les élus ? Leur engagement politique !

Peut-on être « apolitique » et se présenter à des élections ?

Oui, puisque beaucoup le font, et honnêtement comme je l’ai fait moi-même en 2021. J’en ai même fait mon principal argument de campagne : « Liste apolitique ».

Mais je me rappelle déjà qu’à l’époque, je m’étais fait critiquer pour cela. On me disait qu’une élection était forcément politique, et certains me disaient qu’ils se fichaient du côté « social » et du terrain.

Je me rappelle avoir critiqué ceux qui faisaient de la politique, et mon argument était de laisser tomber tous ces gens qui n’arrêtaient pas de se taper dessus avec des discussions politiques stériles ; « regardez-moi je me bouge pour aider les Français de l’étranger, je fais ceci, je fais cela » etc. Puis un gars m’a dit : « Depuis 15 min tu me parles de social et d’aides, tu ne penses qu’à ça. Mais je n’ai besoin de personne, je me fiche des aides. Ces élections ne servent à rien et les politiciens à l’étranger ne servent à rien. » Ça m’avait assez choqué, car j’étais entré dans une espèce de compétition à l’infini pour rendre service à la communauté française. Je travaillais parfois jour et nuit pour organiser des événements, répondre à des messages, aider la communauté…

Finalement, après avoir reçu une tonne de critiques à la suite de mon engagement politique, qui a soudainement annulé tout mon travail de terrain aux yeux de beaucoup, je me rends compte que ce monsieur avait plutôt raison. Même si un nombre non négligeable de Français inscrits sur les listes électorales veulent des élus de proximité pour faire du travail de terrain (pas plus de 15% en tout cas, les chiffres de la participation), une très grande majorité (85%) ne s’intéresse pas à ces élections, peut-être car ils sont vus comme des « apprentis délégués de classe qui racontent du bla-bla », et encore une fois c’est ce que j’ai fait en 2021 et que j’assume. Finalement, quand on vit à l’étranger, vote-t-on vraiment pour avoir des conseillers des Français de l’étranger pour faire le job du consulat ou des assos ?

Je pense que finalement, les Français s’intéressent de plus en plus à la politique, mais ne voient pas de contenu politique dans les élections des conseillers des Français de l’étranger. Il manque des élus qui soient certes de terrain, mais aussi qui soient représentatifs des opinions politiques de nos compatriotes. Il faut des professions de foi qui parlent de politique, et pas juste du bla-bla pour dire « nous allons vous défendre, nous serons à votre service… ».

Changer d’étiquette politique en cours de mandat, est-ce trahir ses électeurs ?

Cette question se pose pour tous les élus, pas que les Français de l’étranger.

J’en parle car évidemment on m’a critiqué pour cela. J’étais autrefois le gentil garçon associatif, apolitique, rassembleur, souriant ; et aujourd’hui certains voient le facho, le méchant, celui qui divise et qui diffuse des discours clivants, bla-bla etc. Evidemment ils s’estiment trompés, car ce n’est pas ce qu’ils voulaient.

On m’a dit que je « montrais mon vrai visage ». Certes, je ne peux pas nier le fait que je me suis volontairement abstenu de parler de politique afin d’obtenir des voix, puisque que je me suis présenté comme indépendant, apolitique, et sans étiquettes.

Mais je n’ai jamais dit que je m’engageais à ne jamais rejoindre un quelconque parti ou candidat. Je ne me suis jamais engagé à rester en-dehors du débat politique. Je me suis engagé sur un programme, que je tiens, sur lequel je continue de travailler. Je continue mes permanences mensuelles. Je suis présent au service de mes compatriotes et à leur rencontre dès que possible. Mais cela n’est pas incompatible avec un engagement, surtout si c’est une option qui n’existait pas autrefois (Reconquête).

Enfin, il ne faut pas oublier que les partis ne sont pas figés, ils changent. Qui peut nous dire quelle est la doctrine exacte des LR ? Entre Nicolas Sarkozy, Valérie Pécresse, et Eric Ciotti, plusieurs mondes les séparent. En conséquence, garder une étiquette est certes un comportement loyal, mais il peut aussi révéler un manque de discernement et de l’opportunisme. Quand on reste dans un parti qui a changé et ne représente plus nos idées, c’est se trahir soi-même, et indirectement trahir ses électeurs.

Il est donc tout à fait normal qu’un mandat politique soit lié à une personne, et non pas à une étiquette, et qu’un élu qui change d’étiquette conserve son mandat.

La France a besoin de notre engagement politique

Trop de gens se désintéressent de la politique. Trop d’abstention à la plupart des élections, en particulier aux élections des conseillers des Français de l’étranger. La triste réalité est que la plupart des 15% des électeurs qui votent sont tout simplement les amis des candidats, a quelques exceptions près (les étiquettes RN et Reconquête ont pu faire élire des conseillers des Français de l’étranger dans certains endroits comme la Thaïlande et la Russie, ou en tout cas ont pu donner de nombreuses voix à des candidats peu connus).

Il y a bien sûr des électeurs qui ne connaissent quasiment aucun candidat et font l’effort de lire les programmes et de faire un choix, mais ils restent minoritaires. La vérité est que certaines élections locales s’apparentent à des élections de délégués de classe en primaire, et encore, même en primaire quasiment tous les élèves de la classe vont s’intéresser à l’élection, alors que ce n’est pas le cas de tous les Français de l’étranger.

Cela est d’autant plus vrai que je l’ai senti lors de ma campagne : une certaine envie de la part des colistiers de se revendiquer « apolitiques », ne pas vouloir s’afficher de gauche ni de droite, avec aucune étiquette, et la volonté de certains électeurs de voter pour des gens qui sont apolitiques car ils se fichent eux-mêmes de la politique.

Il faut justement combattre cette perte d’intérêt envers la politique, en faisant plus de politique ! Les gens votent moins non pas parce qu’ils ne s’intéressent pas à la politique, ils votent moins car ils ne voient aucun candidat pour les représenter. Comment représenter la diversité de nos compatriotes, si tous les candidats disent à peu près la même chose, avec à peu près la même profession de foi, avec uniquement les sujets « de terrain » qui sont les mêmes pour tous ? En tout cas c’est souvent le cas pour les Français de l’étranger. Même la gauche, qui traditionnellement est pour l’augmentation des impôts afin de pouvoir financer l’assistanat, a des positions différentes chez les Français de l’étranger. La gauche veut également la suppression, par exemple, de la CSG-CRDS sur les revenus locatifs des Français de l’étranger. Il y donc très peu de désaccords politiques sur les sujets des Français de l’étranger, sauf peut-être plus récemment, où j’ai pu voir des élus conseillers des Français de l’étranger militer contre la réforme des retraites.

Je pense donc que les candidats et élus locaux doivent mettre les sujets politiques sur la table et inciter leurs compatriotes à débattre, à s’intéresser à la vie démocratique. Beaucoup de nos compatriotes se méfient et ont une mauvaise image des politiques ; ce n’est pas en se revendiquant « apolitiques » qu’on va leur donner envie de s’intéresser.

Enfin, la situation catastrophique de la France nous oblige à en parler, à mettre les bons sujets sur la table. Certes les petits problèmes administratifs personnels de chacun doivent être traités dans la mesure du possible, et les élus doivent être prêts à le faire, mais il y a aussi l’intérêt supérieur de la nation à prendre en compte. En tant que patriotes, nous nous devons de servir la France depuis l’étranger ; il n’y a donc pas de « vote apolitique » raisonnable ; chaque électeur devrait faire son choix à partir de différentes professions de foi clairement politiques.

Marc Guyon

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