|

Les USA et l’industrie taïwanaise des semi-conducteurs : interdépendance et prédation

Revue de presse : https://www.facebook.com/share/p/bhoXJZyWSr2j4xEP/?mibextid=oFDknk

Les USA et l’industrie taïwanaise des semi-conducteurs : interdépendance et prédation.

C’est un article publié par Bloomberg Businessweek mardi 16 juillet, retranscrivant un entretien donné par Donald Trump le 25 juin dernier, qui a déclenché un relatif vent de panique sur les marchés financiers considérant les valeurs liées aux semi-conducteurs taïwanais, impactant en particulier le leader incontesté du marché TSMC (Taïwan Semiconductor Manufacturing Company) – mais pas seulement – qui a connu une chute de 8,5% à Wall Street et de 5,5% à la clôture de la bourse de Taipei, jeudi 18 juillet.

On sait Donald Trump coutumier des déclarations tonitruantes et hétérodoxes, et celle-ci, dans un contexte de relations sino-américaines tendues, ne déroge pas a cette réputation :

“Je connais très bien les gens, je les respecte énormément. Ils se sont approprié environ 100% de nos activités en terme de microprocesseurs. Je pense que Taïwan devrait nous payer pour sa défense. […] Vous savez, nous ne sommes pas différent d’une compagnie d’assurance. Taïwan ne nous donne rien.”

Comment interpréter ce qui pourrait s’apparenter soit à un lâchage en rase campagne de Taïwan, tel que l’interprètent déjà les médias démocrates, soit à un bras de fer économique sous forme de chantage aux microprocesseurs ? Afin de mieux comprendre ces propos, qui n’ont rien d’une improvisation de la part du candidat à l’élection présidentielle américaine, il nous faut revenir sur les raisons de la réussite exceptionnelle de l’industrie des semi-conducteurs taïwanais, avant de chercher à savoir si Donald Trump se positionne en rupture ou, au contraire, dans la continuité de l’action poursuivie par l’administration Biden sur le sujet.

À partir des années 1970, la domination américaine dans l’industrie électronique, par le biais d’IBM, Texas Instruments et RCA (Radio Corporation of America), commence à être remise en question par la concurrence japonaise. Jusqu’au milieu des années 1980, la part de marché de l’industrie japonaise des microprocesseurs ne cesse de croître et finit par surpasser celle des États Unis. Les entreprises américaines répondent, avec la société néerlandaise Philips, en investissant en Asie de l’Est afin de profiter d’une main-d’œuvre qualifiée à bas coût. Initialement, les nouvelles installations étaient limitées aux opérations d’assemblage final de produits électroniques grand public.

Investir en Asie de l’Est avait plus d’un avantage : en plus d’une main-d’œuvre abondante, peu coûteuse et bien formée, la région disposait d’infrastructures de qualité. Taïwan possédait, par exemple, d’un vaste réseau ferroviaire, d’axes routiers modernes et d’un réseau électrique fiable. Les gouvernements concernés étaient également, pour la plupart, de fervents promoteurs de la planification économique, ce qui avait l’avantage pour les investisseurs étrangers de les rassurer quant à la cohérence des politiques publiques considérant les investissement étrangers.

C’est ainsi que les premiers projets se sont orientés vers la Malaisie et Singapour, et que trois usines ont été construites à Taïwan. Les effets positifs sur l’emploi, le PIB et en matière de diversification économique incitèrent le gouvernement taïwanais a créer, en 1973, l’ITRI (Industrial Technology Research Institute) afin de pousser plus loin la recherche et le développement dans le secteur, ceci en travaillant initialement en étroite collaboration avec les investisseurs étrangers. En 1976, l’ITRI et la RCA signent un contrat de transfert de technologie et de licence afin d’introduire officiellement la technologie des semi-conducteurs à Taïwan.

En 1980, l’ouverture du Hsinchu Science Park marque un tournant pour l’industrie électronique à Taïwan. Le gouvernement taïwanais fit le pari que la demande en semi-conducteurs dans l’industrie électronique était susceptible de croître de manière significative, et fit de la production de semi-conducteurs un secteur stratégique, avec de vastes ressources consacrées à la recherche et développement. De jeunes ingénieurs taïwanais furent envoyés dans la Silicon Valley, très souvent avec des bourses du gouvernement.

Toujours en 1980, la première entreprise de conception-fabrication de semi-conducteurs taïwanais, United Microelectronics Corporation (UMC), fut créée sous les bons auspices de l’ITRI à Hsinchu. La différence majeure entre des pays comme la Corée du Sud ou Singapour, et Taïwan tenait au modèle commercial mis en place. UMC n’envisageait pas de concurrencer les géants de l’électronique américains mais de n’être que l’un de leurs nombreux fournisseurs pour leurs produits finis. Loin de chercher à rivaliser avec ces entreprises, UMC fit le choix de la sous-traitance. En 1985, UMC fut légalement vendue à l’ITRI et cotée en bourse comme entreprise publique. Aujourd’hui, elle représente environ 7 % de la production mondiale de microprocesseurs.

À la même époque, Morris Chang, un Taïwano-Américain responsable des opérations de Texas Instruments sur les semi-conducteurs, est recruté pour diriger l’IRT. Deux ans plus tard, il lance TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Corporation) toujours en partenariat avec l’IRT. Morris Chang imposa une vision hétérodoxe des affaires à Taïwan : les microprocesseurs seraient initialement produits à perte et a bas coût afin de prendre des parts de marché. Une autre spécificité fut le choix de ne pas faire de TSMC un “marque” mais de se constituer en sous-traitant pour d’autres marques. Une stratégie commune dans le secteur industriel taïwanais misant non sur de fortes marges mais sur des volumes importants.

Aujourd’hui, TSMC occupe ainsi la première place du secteur des semi-conducteurs, avec une capitalisation boursière de 300 milliards d’euros, un peu en avance sur le Coréen Samsung et loin devant le Japonais Sony. Par ailleurs, il semble bien que l’avance prise par TSMC dans le secteur soit soit quasi-impossible a combler pour la concurrence. En effet, la complexité et la capacité des semi-conducteurs allant crescendo, les coûts d’investissement ont eux-aussi continuer de croître exponentiellement. Aujourd’hui, le coût d’une nouvelle unité de production des microprocesseurs les plus avancées se situe aux alentours de 20 milliards d’euros, une somme considérable. Il en est résulte que la plupart des entreprises se soit contentée de sous-traiter leur fabrication à TSMC, UMC ou PTC (Powerchip Technology Corporation, un autre fabricant taïwanais).

Taïwan représente un quart de la production mondiale de microprocesseurs, quand les États-Unis n’en produisent plus que 12 %. Mais ces chiffres, quoique flatteurs, ne reflètent pas l’importance réelle de Taïwan sur le marché. En fait, TSMC est quasi-monopolistique quant à la fourniture des microprocesseurs les plus avancés. Des géants de l’informatique comme Nvidia, AMD ou Apple, mais aussi le complexe militaro-industriel américain, sont dépendants des microprocesseurs produits par TSMC. D’ailleurs, l’embargo forcé imposé par les USA à la Russie sur ces derniers en dit long sur l’envergure stratégique prise par ces technologies.

Cette situation n’est pas sans risque pour une clientèle internationale tombée dans la dépendance, et elle explique les prises de position agressives du candidat Donald Trump qui mesure bien la possible catastrophe qu’entraînerait une rupture de la chaîne d’approvisionnement pour les États-Unis. Mais pour Taïwan, en plus du fait que les semi-conducteurs et les produits connexes représentent aujourd’hui près de 30 % de l’ensemble des exportations, et qu’ils soient un élément moteur de l’économie du pays dans son ensemble, ils représentent la garantie de l’autonomie insulaire face à la République Populaire de Chine ainsi qu’un atout majeur quant à la visibilité du pays à l’internationale.

La réponse du premier ministre Cho Jung-tai à la question concernant la manière dont le gouvernement réagirait si Donald Trump, élu président des États-Unis, demandait à Taïwan de transférer les activités de recherche et développement aux États-Unis, est venu souligner cet état de fait. En effet, Cho Jung-tai a déclaré qu’il était convaincu que “l’industrie devait rester sur le sol taïwanais”, une situation considérée comme “la meilleure pour la nation”. Par ailleurs, il a ajouté très diplomatiquement qu’il respecterait la décision du peuple américain et que son gouvernement poursuivrait ses relations avec les États-Unis, quel que soit le parti au pouvoir, du fait des bonnes relations entretenues par les deux pays, tout en ponctuant d’un “malgré l’absence de liens formels” sonnant comme un reproche. Et de conclure sur les propos du candidat Trump considérant la défense en affirmant que Taïwan avait la volonté d’assumer plus de responsabilité dans le détroit de Formose et la région Indo-Pacifique.

En fait, sur ce sujet précis, Donald Trump ne se positionne pas, sur le fond, en rupture avec la politique poursuivie par l’administration Biden, seule la forme diffère. Aux sirènes démocrates de subventions s’élevant à plusieurs milliards de dollars pour la construction d’une unité de production de microprocesseurs TSMC dernière génération en Arizona – offre a laquelle C.C.Wei (PDG de TSMC) a répondu en affirmant qu’il n’était pas question de produire les microprocesseurs les plus récents hors du territoire taïwanais – succède le ton plus vindicatif, voire le chantage, d’un Trump adepte du bras du fer. La chute des cours de l’action TSMC sur les marchés taïwanais et américain, si elle se poursuit, fait-elle partie de la stratégie de Donald Trump ? On peut le penser. Produira-t-elle les effets escomptés par ce dernier : un positionnement plus favorable des dirigeants de TSMC et des autorités taïwanaises vis-à-vis des intérêts américains sur ce sujet ? Rien n’est moins sûr.

Syl No

Similar Posts

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *