A la croisée des chemins : l’histoire d’un pionnier français vers l’Ouest canadien
“Je suis on peut dire le seul qui se soit tiré de tous ceux que le Père Le Floch a emmené avec lui”. Ainsi écrivait Victor Colvez (1864-1932)à ses amis en France depuis son nouveau domicile dans l’ouest du Canada. Dans le froid glacial d’un matin de janvier 1905, Victor réfléchissait au voyage que lui et sa famille avaient entrepris depuis la ville de Rennes et le port de Saint-Malo en Bretagne. Le voyage avait été difficile et avait duré deux fois plus de temps que prévu, mais il était enfin en route : “J’arriverai, coûte que coûte…” Avait-il juré.
La lettre de Victor ne révèle pas ce qui l’a poussé à quitter Rennes, où il travaillait comme boulanger. Une raison évidente aurait pu être son espoir de meilleures opportunités économiques. Ses cinq enfants auraient probablement de mauvaises perspectives en Bretagne : dans les années 1900, cette région était si déprimée économiquement qu’une grande partie de ses habitants devaient chercher du travail dans des usines et comme domestiques dans d’autres régions de France. Mais une remarque énigmatique à la fin de sa lettre suggère d’autres possibilités : il demande à ses amis de ne pas prêter attention aux rumeurs à son sujet qui pourraient circuler dans sa communauté d’origine.
Les seules personnes qui ont été informées avec précision étaient « nos parents et vous-mêmes, à qui j’ai écrit directement ». Il semble que Victor ait décidé de rompre ses relations avec la plupart de ses précédentes connaissances.
Quelle que soit la raison du départ, elle était suffisamment convaincante pour soutenir la décision de Victor : partir, partir, émigrer, telle était la solution du moment. Mais où ? A cette époque le gouvernement français s’affaire à recruter des colons pour l’Algérie, tandis que le gouvernement canadien encourage les immigrants à s’établir dans les Prairies. Victor se tourne vers le Canada.
Victor a probablement été informé pour la première fois des opportunités dans l’Ouest canadien grâce à l’Église catholique romaine et à la presse locale, en particulier l’Ouest-Éclair, un quotidien créé en 1899. Entre l’abbé Paul Le Floc’h, prêtre de Guingamp dans la paroisse de Magoar au nord-ouest de la Bretagne. La ville de Guingamp était située à proximité de Rennes et de nombreux ports maritimes de la côte atlantique. Elle était donc bien placée pour le projet que le Père Le Floc’h avait imaginé et qu’il entend désormais réaliser.
Le Père le Floc’h était l’un des nombreux prêtres français qui espéraient échapper au laïcisme de la France républicaine en s’installant au Canada pour y fonder des communautés catholiques. Là, ils seraient libres de gérer leurs propres affaires ; ils pourraient notamment créer leurs propres écoles. Ainsi, certains de ces missionnaires colonisateurs avaient pris sur eux, sans le soutien financier du gouvernement canadien, d’effectuer des voyages de recrutement en Europe.
L’un des recruteurs les plus assidus fut l’abbé Jean-Isidore Gaire, qui effectuait des voyages réguliers entre la France et le Canada depuis 1897. En 1902, il persuada vingt et un Bretons de le suivre.